Colloque "Stella Incognita "Science-fiction, prothétisation, cyborgisation"
4-5 Avril 2018
Informations pratiques
Horaires : 9h00 - 17h00
Salle des Thèses
Campus de La Buire-Laennec / Facultés de Médecine
69008 Lyon
(Cliquez sur le marqueur pour ouvrir Google Maps)
Présentation thématique
Lunettes, lentilles de contact fantaisie, pace-makers, prothèses dentaires, dispositifs auditifs, implants mammaires, oreilles de chat Neurowear, bras mécatroniques, etc. : notre monde contemporain nous plonge de plus en plus dans un univers de prothèses, à tel point que, l’âge venant, peu d’entre nous y échapperont. Pourtant, cette hybridation passe presque inaperçue alors même qu’elle change nos vies et notre quotidien.
De ce fait, en lien avec le cycle de séminaires « Corps et prothèses », il semble particulièrement bienvenu de se pencher sur l’abondante source de cogitations prothétiques qu’apporte la science-fiction sous toutes ses formes. Elle nous donne à vivre une multitude d’expériences par procuration qui mêlent anticipation, rêverie, interrogations personnelles et questions sociales et politiques, dont nous ne pouvons donner ci-après que quelques aperçus.
Pour information, à la suite de ce colloque Stella Incognita, une journée « Du proche au lointain : les horizons prothétiques contemporains » est programmée le 7 avril dans le cadre des séminaires « « Corps et prothèses », au Musée des Confluences de Lyon. Cette journée est ouverte à tous et gratuite.
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A l’évidence, parmi les motifs récurrents de la science-fiction, chacun rencontre celui du cyborg. Toutefois, cette évidence cache un ensemble à la fois plus vaste et moins visible, celui de la prothétisation – qui mérite tout autant une investigation. Alors que l’idée de cyborg est celle d’un collage problématique entre deux parties, mécanique et organique, posées sur un plan identique, l’idée de prothèse ne suit pas un tel schéma d’affrontement, car le noyau humain y reste premier et principal. La prothèse, au moins initialement, est adjointe à ce noyau comme un complément. La notion de prothèse, assez large, permet de ce fait une grande richesse de variations. Dans sa matière, la prothèse peut être organique, mécanique ou même virtuelle. Dans ses finalités ou ses fonctions, elle peut être motrice, sensorielle, expressive, interfaciale, cognitive, etc. Dans son ampleur, elle peut se limiter à un simple bijou ou, à l’opposé, remplacer le corps ou l’englober. Dans sa signification humaine, elle peut ne représenter qu’une fonction accessoire, voire négligeable, ou être une clef symbolique ou un élément social de premier plan.
La place des prothèses dans la science-fiction est d’ailleurs depuis longtemps très importante. Bien sûr, chacun peut se souvenir de cette séquence de L’Empire contre-attaque (1980) où Luke Skywalker a la main tranchée par son père, puis remplacée par une prothèse. Ce moment fait écho, dans le film suivant, Le Retour du Jedi (1983), à une séquence symétrique, lorsque Luke tranche la main de son père et découvre qu’il s’agissait d’une prothèse. Un triple rapprochement se produit entre les deux hommes : une filiation biologique assumée, un destin qui se répète, une meurtrissure commune – l’ensemble façonnant un espoir partagé. On sait moins que presque chacun des romans de la série Starwars met en scène des prothèses, souvent différentes. Tout un cycle, celui du Nouvel Ordre Jedi, a même été construit sur l’exploration de la prothétisation organique, avec l’invasion des Yuuzhan Vong.
Si cet exemple est le plus connu, il n’est pas le premier. Sans remonter très loin dans l’histoire, Le Docteur Lerne (1908) de Maurice Renard est déjà une exploration très accomplie du corps-prothèse par la greffe d’un corps à un cerveau, puis de la machine-prothèse avec la projection de l’esprit dans une automobile. Du même auteur, Les Mains d’Orlac (1920), plusieurs fois porté à l’écran, est l’histoire complexe d’une double greffe de mains dans laquelle l’auteur prête une attention aiguë aux retentissements fonctionnels, identitaires et symboliques. Au milieu du XX e siècle, le cycle désormais classique des Seigneurs de l’Instrumentalité de Cordwainer Smith montre plusieurs personnages prothétisés. A la même époque est publié un roman lui aussi hors norme dont le thème central est la prothétisation : Limbo (1952) de Bernard Wolfe. On y découvre l’accroissement de la performance mais aussi la violence du procédé et le questionnement sur une humanité de plus en plus fabriquée. Ces interrogations à la fois techniques et métaphysiques sont aussi présentes quelques années plus tard dans Homme Plus (1976) de Frederik Pohl et dans Les Voyages électriques d’Ijon Tichy (1976) de Stanislas Lem, où une vaste palette de transformations est passée en revue.
Dans une période plus récente, la question prothétique est devenue une thématique standard, faisant partie des motifs classiques dont on joue dans les mondes de la science-fiction. Citons, à titre d’exemples parmi les plus frappants, les œuvres de John Varley : Le Canal Ophite (1977), Barbies tueries (1978), Equinoxiale (1980), Champagne bleu (1981), Les Gens de la Lune (1992), Le Système Valentine (1998) : la transformation de soi et l’intégration prothétique y suivent des voies multiformes (fonctionnelles, sensorielles, esthétiques, etc.), dont les retentissements anthropologiques sont assez soigneusement explorés. De même, parmi les œuvres consacrées, L’Empereur-Dieu de Dune (1981) de Franck Herbert est une histoire d’intégration organique et biochimique autant qu’une réflexion sociale et historique. Plus récemment, Etoiles mourantes (1991) d’Ayerdahl et Jean-Claude Dunyach systématise le regard en mettant en parallèle quatre formes d’hybridation. Cette approche systématique se retrouve aussi chez Brian Stableford dans le cycle de l’E-mortalité, ou, d’une toute autre façon, dans l’œuvre d’Enki Bilal.
La science-fiction actuelle n’est pas en reste sur la question des prothèses : La Zone du Dehors (1999) d’Alain Damasio, Le Fleuve des Dieux (2004) de Ian McDonald, Les Chroniques du Radch (2013) d’Ann Leckie, sont des explorations de cette hybridation couplant humains, machines, implants organiques et inorganiques, dont le motif prothétique est l’objet principal. Cette soif exploratoire est aussi très présente dans le jeu vidéo et ses multiples variations sur le corps bionique, de Bionic Commando (1987), Final Fantasy (FF I :1987, ..., FF XV : 2016), Deux Ex (DE 1 : 2000, ..., DE 5 : 2016), Nier Automata (2017) ou encore Horizon Zero Dawn (2017).
En parallèle à une orientation psychologique et sociale, une science-fiction de la prouesse technique (bras bionique, exo-squelette, couplage avec une machine, implant, etc.) n’a d’ailleurs jamais cessé de se développer, en particulier à la télévision et au cinéma : Doctor Who (1963-2018), Goldorak (1975-1977), Super Jaimie (1976-1978), eXistenZ (1999), Ghost in the Shell (1995, 2004, 2017), Texhnolyze (2003), Iron Man (2008, 2010, 2013), Avatar (2009, 2018), etc.
Ces quelques aperçus de la thématique de la prothétisation dans la science-fiction montrent qu’elle touche toutes les aires culturelles, qu’elle est travaillée à la fois dans la culture populaire et dans la culture plus érudite, qu’elle ne cesse de s’enrichir et de s’approfondir, et que les œuvres concernées ont été souvent primées, ce qui souligne la qualité du traitement artistique autant que sa signification humaine, comme une exploration saisissante de notre (éventuelle) future condition.
L'enjeu de ce séminaire est donc de questionner la thématique de la prothétisation au sein de la science-fiction dans une approche pluridisciplinaire (études littéraires, sciences humaines, sciences médicales, sciences « dures », etc.) et au travers de corpus de tout type (littérature, bande dessinée, série télévisée, film, jeu vidéo, design, mode, etc.), d’aires culturelles variées (Europe, Amériques, Asie, etc.) et de différentes périodes historiques (du XVIII e siècle à nos jours).